Le coton et le rouet
Voici un texte sur la notion gandhienne d'économie. A l'heure où l'Inde a ouvert ses marchés et se développe à un rythme soutenu, que reste-t'il de cette utopie ? Rien, peut-être. Mais n'allons nous pas devoir y revenir dans cent ou deux cents ans faute de sources d'énergie, problème non envisagé dans cet extrait ?
Vinôbâ ou Le nouveau pèlerinage, Lanza del Vasto, Folio
Voici par exemple un problème économique : il pousse du coton dans le champ d'en face ; le maître du champ vend son coton à un collecteur qui le revend à un marchand qui le revend à un autre qui le transporte à Bombay où il est vendu à un exportateur qui l'embarque pour un port anglais où il est vendu à une usine qui en fait du coton filé et le vend à une autre usine qui en fait du coton tissé qui le vend à un marchand qui le vend à un autre qui l'expédie à Bombay où il est vendu à un marchand qui le vend à un colporteur qui le vend au village du maître du champ de coton.
En jouant à la balle avec des tonnes de coton on expose la marchandise aux mites et aux termites, à la moisissure et à l'incendie, au vol et au naufrage, à la hausse et à la baisse, à la crise et à la guerre.
Pour jouer à la balle avec des tonnes de coton il faut des milliers de kilomètres de rail, des ports, des docks, des entrepôts, des bateaux, des douaniers, des contrôleurs, des policiers, des tribunaux et des prisons, des bureaux, des banques et des bourses, des armées et des canons, des colonies et des peuples réduits en servitude, des usines, des machines et des millions de prolétaires toujours au bord de la rébellion.
Et voici maintenant l'économie du problème :
C'est que le maître du champ prenne une petite roue ou même une tige comme celle-ci et la fasse tourner jusqu'à ce qu'il soit vêtu du coton de son champ, lui, sa famille et tout son village, au lieu de faire tourner son coton tout autour de la terre.
Aucun économiste n'a trouvé ça. Il faut à ces gens-là des solutions compliquées et dignes de leur haut savoir. Des solutions qui posent d'autres problèmes, pour lesquels il faudra recourir de nouveau à leur haut savoir.